Lors de ce séminaire « Les dits de Gestes » du jeudi 6 Mars 2014, Katia Kostulski, psychologue au Centre de Recherche sur le Travail et le Développement (CRTD-CNAM), commence par présenter l’origine du titre qu’elle a proposé : « les formes du dialogue au travail », en revenant, à partir de théories en Psychologie (Vygotski ; Bühler ; Markova ; Fernyhough) sur les relations qui unissent le langage au dialogue. Elle développe ensuite la présentation d’une intervention auprès de juges d’instruction, dans le contexte post-Outreau où le métier était sérieusement mis à mal.
Alexandra Bidet, sociologue du travail et de l’économie, chargée de recherche CNRS au Centre Maurice Halbwachs (CMH) était Discutante de ce séminaire.
Compte-rendu, Bandes sonores et références bibliographiques à découvrir dans ce qui suit…
Compte-Rendu
Alors que le langage apparaît comme une faculté, une virtualité, un système organisé en « poupées russes », le dialogue apparaît comme une forme concrète de réalisation du langage, qui lie le sujet parlant-pensant au monde, aux autres, à lui-même dans un « triangle magique » si souvent utilisé en sciences humaines. Le dialogue est donc tout autant « dedans » (le dialogue intérieur) que « dehors » (le dialogue concret réalisé avec l’autre). Des conditions peuvent venir l’entraver, comme dans ce milieu des juges d’instruction après l’affaire d’Outreau et la suspicion que l’institution judiciaire, les médias, la société en avait tirée sur le métier de juge d’instruction. Le métier s’en trouvait discrédité.
En effet, dans un tel contexte, exposer son travail, parler de ses manières de faire, échanger sur ce que l’on arrive ou non à faire au quotidien, peut se révéler très difficile. Les gestes professionnels quotidiens sont alors plus à protéger qu’à remettre en question dans le milieu professionnel. Katia Kostulski revient alors sur l’intervention qu’elle a conduite dans le milieu des juges d’instruction. Elle montre comment ces méthodologies ont d’abord été difficiles à mettre en place, notamment sur une question professionnelle essentielle et brûlante dans ce contexte : celle de la retranscription, dans le procès verbal d’audition, des échanges entre le juge d’instruction et la personne entendue au sein du cabinet. Le passage de l’oral à l’écrit n’est jamais transparent. Il nécessite en effet un travail pour préserver le sens du discours. Une belle part de la professionnalité des juges est là. Comment agir sur la forme (ce qui est énoncé oralement et qui devra être écrit) pour préserver le fond (ce dont on parle et qui fait sens dans le dossier) ? Lorsque la psychologue leur posait des questions sur ces techniques, elle se voyait opposer une réponse « monologique, nécrosée » : « On ne retranscrit que ce qui est dit ». C’est dans le but de rétablir le dialogue professionnel entre les juges, dans un contexte peu propice à la confiance, que la psychologue s’est efforcée de se faire « l’instrument d’un dialogue qui n’avait pas lieu » entre ces professionnels : un dialogue empêché, ravalé, retenu.
Elle revient sur la façon dont la démarche clinique employée, celle de la clinique de l’activité, mobilisant des méthodologies qui ouvrent des cadres dialogiques sur les gestes quotidiens du travail, a permis de restaurer ce dialogue professionnel sur le métier, et illustre cette question sur une analyse, déployée entre deux juges, d’un geste de retranscription dans un PV : « avancer » énoncé à l’oral devient « aller mieux » dans le PV écrit. Le dialogue entre les juges sur ce geste du travail permet d’ouvrir sur le réel de leur activité : l’origine de l’affaire, le présent de l’échange avec cette jeune femme victime de viol en présence de son agresseur, le mal-être patent et palpable de cette jeune femme victime, les devenirs possibles du dossier, et avec ces devenirs, le travail à venir des destinataires du PV.
La sociologue Alexandra Bidet, discutante pour ce séminaire des Dits de Gestes, est ensuite intervenue pour souligner « l’intérêt opératoire » de ces travaux, qui visent à « donner des prises » aux professionnels et les aident « à imaginer d’autres manières de faire, si possible plus heureuses », à travers une « mise en visibilité de l’hétérogénéité des manières de faire ». Ses questions ont ensuite tout particulièrement porté sur la méthodologie.
Elle s’est tout d’abord interrogée sur la valorisation de la controverse dans les méthodes de la clinique du travail, et ce, dans une vocation “développementale”, et a demandé à Katia Kostulski si les débats trouvaient une issue « heureuse », ou s’ils pouvaient parfois être stériles. La psychologue a notamment précisé que ce qu’ils essayaient de promouvoir n’était pas tant le désaccord, le conflit entre les personnes, mais plutôt la controverse relative aux différentes « façons de faire », et que le but n’était absolument pas non plus de “refermer” ses controverses.
Dans un second temps, Alexandra Bidet demande si la verbalisation (aussi sophistiquée que l’enregistrement des tâches et l’auto-confrontation croisée), était vraiment incontournable, ou si, parfois, la seule observation, via les vidéos, pouvait suffire pour voir et intégrer d’autres manières de procéder dans le travail.
Enfin, Alexandra Bidet interroge sur la définition de la psychologue du « bon travail » (qui suppose d’être réalisé de manière satisfaite), pouvait-elle constituer un « idéal régulateur » et s’il n’omettait pas, de fait, la différence de perceptions quant à ce qui pourrait être ce “bon” travail. Pour Katia Kostulski, il s’agit davantage de parler de qualité du travail ou encore de « travail bien fait », et que les divergences des points de vue n’était pas écartées.
Lors des échanges avec la salle, les questions ont notamment porté sur ce que l’intervenante pensait d’un éventuel glissement du « métier » vers « la fonction », et si la clinique du travail prenait en compte cette évolution, ou encore sur la place qu’elle accordait à la psychanalyse dans ses travaux.
Les débats engagés avec la salle se poursuivent au delà du temps dévolu initialement à ce séminaire mensuel de Gestes.
Les intervenantes
Audio-diffusion : Ecoutez les interventions
Katia Kostulski, partie 1 : 4min26s
Katia Kostulski, partie 2 : 4min06s
Katia Kostulski, partie 3 : 6min
Katia Kostulski, partie 4 : 6min18s
Katia Kostulski, partie 5 : 6min56s
Katia Kostulski, partie 6 : 4min42s
Katia Kostulski, partie 7 : 3min56s
Katia Kostulski, partie 8 : 4min42s
Katia Kostulski, partie 9 : 6min45s
Katia Kostulski, partie 10 : 5min57s
Katia Kostulski, partie 11 : 4min28s
Katia Kostulski, partie 12 : 1min28s
Alexandra Bidet est discutante : 7min03s
Alexandra Bidet est discutante : 3min45s
Réponse de Katia Kostulski à Alexandra Bidet : 2min56s
Réponse de Katia Kostulski à Alexandra Bidet : 7min48s
Réponse de Katia Kostulski à Alexandra Bidet : 3min57s
Descriptif des travaux de recherche de l’équipe de “La clinique de l’activité” : télécharger en cliquant ici
Références bibliographiques :
Ouvrages :
Philip Milburn, Katia Kostulski, Denis Salas, Les procureurs, entre vocation judiciaire et fonctions politiques, Presses Universitaires de France, 2010.
Yves Clot, Bernard Prot, Katia Kostulski, « Le genre professionnel entre l’organisation prescrite et la santé individuelle », in Caroline Desombre, Annick Durand-Delvigne et Régis Verquerre (dir.), in Psychologie du travail et des organisations : des savoirs au service de l’action, Presses Universitaires de Nancy, 2008.
Articles : Katia Koltuski, Yves Clot, Malika Litim, Samuel Plateau, « L’horizon incertain de la transformation en clinique de l’activité : une intervention dans le champ de l’éducation », Activités, 8 (1), 2011.
Articles : Katia Koltuski, Jean-Luc Tomas, Jean-Yves Bonnefond, « Le travail des instrumentistes et des chirurgiens du bloc 12 : sources et ressources du développement de l’organisation du travail », rapport CRTD/CNAM pour le CHU de Caen, 2009.
Mise en ligne le 21 mars 2014